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Vers une flexibilité renforcée de la supply chain et des Architectures IT

Stéphanie Rostagny-Gosse & Thierry Desnos
5 juin 2024

Comment l’architecture IT peut-elle ou doit-elle s’adapter pour répondre aux nouveaux enjeux stratégiques des organisations industrielles ?


Les crises mondiales, sanitaires et géopolitiques ont permis à la supply chain de retrouver un rôle central dans la chaîne de valeur industrielle. Comme tout processus organisationnel, elle a évolué naturellement, contrainte par les impacts de la technologie ou les obligations règlementaires notamment liées au développement durable. À l’instar des outils qui la pilotent, elle est connectée à toute l’entreprise et elle se doit d’être plus agile, plus rapide et plus réactive. En conséquence, les outils qui la soutiennent sont bousculés. Les ERP en particulier, sont désormais associés à d’autres briques techniques. L’ensemble est mis au défi de sa pertinence depuis l’arrivée de l’IA générative et c’est donc un ensemble de systèmes dont il faut maintenant redéfinir l’architecture.

De manière évidente, les solutions digitales soutenant les plateformes ERP doivent désormais proposer de nouveaux services : renforcement des simulations basées sur les coûts (approvisionnement, production, logistique) via les APS (Advanced Plannning & Scheduling), gestion de l’orchestration des commandes intégrant ces nouvelles complexités via les OMS (Order Management System), solutions spécifiques de gestion des entrepôts via les WMS (Warehouse Management System), meilleure optimisation des tournées prenant en compte les économies de carburant via les TM (Transport Management System), quantification carbone des différentes étapes, etc. 

Pour analyser ces enjeux, nos experts Stéphanie Rostagny-Gosse, Directrice des opérations de la BU TEC, adressant les secteurs Consumer Goods, Retail, Telco, Média et Energie, et Thierry Desnos, Senior Director – Intelligent Supply Chain – nous répondent. 

Face à ces besoins multiples, certains prédisent que c’est la fin de l’ERP comme solution unique, êtes-vous d’accord avec cette affirmation ? 

Thierry Desnos : L’ERP seul ne peut répondre à tous les besoins. Les projets de migration des plateformes ERP ont permis de poser de nombreuses questions sur la gestion transverse des données et des processus. Pour autant, il serait illusoire de vouloir faire table rase de l’existant pour repartir d’une feuille blanche. Pour la majorité des départements Opérations ou Logistique des clients industriels, le produit ERP considéré comme lourd a fini par être adopté par les équipes métier. Mais paradoxalement aujourd’hui, ces mêmes équipes craignent de changer d’outil et résistent au changement. Pour encourager l’appropriation et bénéficier du meilleur de ces outils, les phases de migration des plateformes ERP sont cruciales. Il est d’abord nécessaire de sélectionner les briques à choisir dans l’outil existant, puis celles à se procurer via d’autres plateformes et enfin celles à développer en interne, notamment autour de l’IA. La plateforme finale ainsi enrichie doit répondre aux besoins spécifiques de l’organisation qui l’a choisie. Pour que cette nouvelle mécanique fonctionne, les métiers doivent impérativement être parties-prenantes. 

Stéphanie Rostagny-Gosse  : Je suis complètement d’accord. L’ERP ne sera jamais totalement remplacé tant il a été porteur de bienfaits pour l’intégration des différentes fonctions centrales  (ressources Humaines, finance, juridique). En revanche, il est à compléter. Et pour se faire, comme l’a expliqué Thierry, il faut absolument repartir des besoins métier pour assembler les bonnes briques, le bon puzzle en fonction de son contexte d’organisation, de son contexte économique et des nouvelles attentes. Il y a quelques années, un ERP pouvait offrir une solution unitaire sur plus de 80% du spectre. Aujourd’hui, la couverture fonctionnelle d’un ERP, qui correspond au nombre de fonctionnalités proposées par la solution versus le nombre de fonctionnalités attendues, tourne autour de 60%. On comprend aisément qu’elle doive ensuite être complétée par des solutions connexes. Un des prismes d’analyse à garder en tête est le degré de transformation nécessaire : “Faut-il mettre à jour à la marge l’architecture composée de 2 pièces solides et maintenues ?” ou “Faut-il revoir l’architecture de manière plus large car le contexte interne / externe a changé ?”. Bien sûr, plus la transformation est importante, plus le besoin de sponsorship de la part du métier sera élevé. 

Selon vous, que faut-il standardiser ? Ou, à l’inverse, quelles fonctionnalités faut-il optimiser pour apporter de la valeur ajoutée ?  

Stéphanie Rostagny-Gosse : Selon moi, la clé de répartition est simple et tient de la différentiation. Tout ce qui existe et qui n’est pas un différenciateur sur son marché doit être standardisé dans une solution simple, robuste et réplicable. La finance, par exemple, a rarement besoin d’une solution spécifique car ses processus sont souvent similaires d’une organisation à une autre. En revanche, pour des besoins de fabrication de produits ultra spécifiques, des solutions optimisées sont requises qui vont permettre de gérer cette personnalisation. De même, dans le cas d’un large catalogue de produits avec des délais de livraison réduits du jour pour le lendemain, investir dans des algorithmes de prédiction de vente spécifiques peut apporter beaucoup de valeur. 

Thierry Desnos : Pour aller plus loin, je dirais qu’il y a 3 couches à observer. La première concerne l’administratif, les finances et le reporting qui représentent souvent un avantage compétitif faible et peuvent s’appuyer sur un outil standard, avec en ligne de mire la recherche de l’optimum économique. Ces fonctions peuvent bénéficier d’un ERP en transverse avec un travail de rationalisation et d’alignement des données pour faciliter les phases de closing et de reporting. La deuxième couche concerne les briques à valeur ajoutée – APS*, WMS*, OMS*, – qui doivent viser la tête du peloton du secteur et s’aligner avec les entreprises les plus avancées du domaine. Dans ce cas, en fonction de la thématique et de son contexte, le choix s’ouvre de rester sur un progiciel du marché ou d’aller construire un module basé sur du spécifique. Dans le cas d’une évolution importante de Business model (par exemple pour intégrer une dimension BtoC ou BtoBtoC) il est peu probable qu’une plateforme type ERP réponde à tous les besoins métier. Enfin, la troisième couche concerne l’innovation qui peut apporter un avantage concurrentiel. Dans ce cas de figure, on sera potentiellement sur du développement propriétaire dont on pourra conserver au moins une part de la propriété intellectuelle spécifique. En résumé, pas de standardisation à tout prix, cela va dépendre du process et de la valeur qu’on cherche à créer.

Les architectures que vous décrivez sont plus complexes que par le passé, comment peut-on les définir d’une manière optimale ? 

Stéphanie Rostagny-Gosse : Comme dans le bâtiment, les constructions complexes doivent bénéficier des meilleurs architectes. Dans le cas d’organisations industrielles, il est impératif de faire appel à de solides architectes urbanistes du Système d’Information qui aideront à obtenir la modularité nécessaire. De même, l’architecture sera pensée pour intégrer facilement les partenaires (administratifs, techniques, ou les sous-traitants) via l’entreprise étendue grâce à des API (Application Programming Interface) ou des formats ouverts. Il convient de rappeler que s’entourer est impératif car plus l’architecture sera modulaire et ouverte, plus le risque cyber est élevé. Il faut pouvoir le mesurer et l’adresser. 

Thierry Desnos : En étant objectif, assez peu d’entreprises ont des architectures très structurées aujourd’hui. Elles sont onéreuses, peu agiles voire peu adaptées à certaines thématiques nouvelles comme l’économie circulaire. En effet, ce n’est pas leur faire offense que de rappeler que les architectes sont méticuleux et visent la robustesse de leurs livrables. En outre, on l’a rappelé, la présence des équipes métier à toutes les étapes du projet est requise afin de rester alignés avec les besoins de l’entreprise et de formuler des propositions solides basées sur des business-cases voire sur un simple principe de réalité. Enfin, dans le cas d’organisations internationales, les architectures sont également la proie des business models liés aux différences culturelles. Les entreprises chinoises ou nord-américaines par exemple, n’ont pas forcément une architecture très structurée. Pour les premières, cela s’explique car elles sont davantage guidées par une recherche d’évolution rapide, d’agilité et de valeur court terme. Les secondes investissent moins massivement dans les ERP, car la recherche de retour sur investissement rapide est prioritaire. 

Et dans cette gestion de la complexité tant technique, qu’organisationnelle ou encore géographique, est-ce que l’IA, et notamment l’IA générative, peut aider à accélérer et optimiser les processus ? 

Stéphanie Rostagny-Gosse : L’IA générative est assurément un sujet majeur d’innovation. Il faut néanmoins être prudent car, en réalité, l’heure est encore à l’apprentissage pour gagner en efficacité tant sur la construction des SI, que sur les processus métiers. La qualité des données exploitées et les passages à l’échelle sont les prochains enjeux. C’est alors que le sujet de l’ERP est étroitement lié à celui de la continuité numérique. Plus celle-ci existe et est développée, dès les bureaux d’étude, plus complètes et plus pertinentes sont les données à disposition de l’IA. 

Thierry Desnos : On commence en effet à y voir plus clair sur l’utilisation des données. La Business Intelligence est un outil incontestable du reporting quand on a des données structurées mais on voit ses limites. Des outils tels que Power BI vont permettre d’exploiter les données sur beaucoup de sujets pour du monitoring à la journée ou en quasi-temps réel. Les plateformes de Data permettent d’aller beaucoup plus loin et les premières expérimentations en Gen AI ont démarré mais le passage à l’échelle reste à concrétiser, par exemple autour du Smart Forecasting. Nous devons réfléchir aux moyens d’intégrer ces plateformes dans des structures data internes souvent assez figées tout en faisant redescendre les éléments calculés par ces outils dans les systèmes opérationnels. Aujourd’hui, les progrès technologiques sont fulgurants et les opérationnels encore peu trop équipés pour bien capitaliser sur ces technologies. Il nous faut partager la connaissance et renforcer le niveau de compétence autour de ces nouveaux outils. On entrevoit de grands progrès dans l’accessibilité des données et des analyses pour les utilisateurs, les notions de visualisation, d’interaction, l’interprétation des résultats, avec un impact possible sur l’attractivité des métiers. Mais comme toujours, la condition pour que l’Intelligence Artificielle soit performante repose sur l’accès à des données de qualité. 

Il est nécessaire de définir des architectures qui allient à la fois la robustesse que peuvent apporter les ERP et qui doivent constituer l’ossature transactionnelle du système d’information (Digital Core system), l’adaptabilité métier des outils dédiés (ex. APS, WMS) et la puissance des moteurs d’IA afin de donner aux utilisateurs une expérience augmentée qui apportent une vraie valeur métier à la fois d’efficacité des processus et d’améliorations des indicateurs de performance économique de l’entreprise.

*APS : Advanced Plannning & Scheduling, *OMS : Order Management System, *WMS : Warehouse Management System, *TM : Transport Management System

Pour aller plus loin

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La transformation digitale entre dans une nouvelle ère. 

Auteurs

Stéphanie Rostagny-Gosse

VP – Head of Operations France, TMT, EUC & CPRD

Thierry Desnos

Consulting Senior Director – Intelligent Industry, Capgemini Invent