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Les mots du jour d’après : Territoire

Capgemini Invent
25 mai 2020
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Le mot d’aujourd’hui, « Territoire », est vaste, riche et complexe. Le territoire regorge d’opportunités et devient plus « intelligent », inclusif et résilient.

Hier encore, nous vivions dans un monde où le territoire n’occupait pas, ou plus, le devant de la scène face à une mondialisation aux vertus fragiles, dont nous découvrons jour après jours les limites.

Par Pierre Demeulemeester, Vice President Innovation & Strategy, Moez Draief, Vice President – Global Chief Data Scientist et Guillaume Duranton, Managing Consultant – AI Strategy

Happy Earth Day

Alors que cette pandémie nous contraint physiquement dans nos déplacements, nos données, elles, circulent plus vite que jamais et dans une propension jamais atteinte de mémoire d’homme. Elles envahissent un territoire qu’on pensait sans frontière, celui du virtuel, construit à l’échelle d’une génération, là où nous avions mis plusieurs centaines d’années pour en construire son pendant physique.

La rapidité avec laquelle notre monde a basculé est impressionnante : école, consultation médicale, travail, divertissement, culture, concert, diner en famille, autant de choses qui se font maintenant dans ce nouveau territoire numérique. Nos collègues vous racontaient dans notre publication sur le travail que cette révolution au sein des entreprises est massive et va laisser des traces, notamment sur l’éclatement des collaborateurs au sein des territoires. Tous ces changements soudains dans nos rapports sociaux, en familles, entre amis, entre collègues, impactent la manière dont nous consommons l’espace physique et donc la relation aux territoires.

Au-delà des frontières géographiques, se pose désormais la question des frontières numériques de nos territoires, et des nouvelles formes d’infrastructures qui vont les délimiter. Dans nos territoires géographiques, nous partagions en commun des routes, des services publics de proximité, des infrastructures communes pour organiser la vie ensemble. Dans le monde numérique, il s’agit d’une part de bâtir les nouveaux communs qui vont servir à organiser la vie ensemble, et d’autre part le contrat social qui permet d’en régir le fonctionnement.

De cette ambition de création des nouveaux communs nait le concept de « Data Trust Territorial » (développé plus largement dans notre publication « Données, Territoires et Citoyens – Repenser le modèle opérationnel du territoire pour concilier données et démocratie »). Le « Trust », fiduciaire garante du respect du nouveau contrat social entre les différents acteurs territoriaux, établit les fondations technologiques de confiance en « patrimonialisant » la donnée du territoire et la rendant de facto partie intégrante des nouveaux communs.

Vers une « patrimonisation » de la donnée territoriale

Intégrer la donnée comme infrastructure territoriale nécessitera la mise en place d’une gouvernance éthique aussi bien dans la captation, que dans le traitement et le partage. En dehors de toutes considérations d’équipement en infrastructures de santé, la crise que nous connaissons a mis en avant les bénéfices de la requalification de la donnée comme bien commun dans la lutte contre la pandémie. Plusieurs villes asiatiques, premières touchées par le virus, ont pu s’appuyer sur leurs infrastructures de villes intelligentes (Smart City) à différentes fins :

  • En Corée du Sud, en captant de la donnée au sein d’un hub (Smart City Data Hub), mis à disposition par le Ministère des Territoires aux services de la KCDC (Korean Center for Disease Control & Prevention). Cela a ainsi permis aux épidémiologistes de pouvoir rapidement procéder à la détection des chemins de transmission et ainsi en limiter la propagation.
  • L’état-nation, Singapour, au-delà de sa capacité à inciter les habitants à se cloisonner chez eux en un temps record, a su rapidement s’appuyer sur son infrastructure de Smart Nation lancée en 2014 pour mettre en place le très controversé « contact-tracing » lui permettant de n’avoir « que » 11 décès liés au Covid-19

En temps normal ces mêmes infrastructures permettent de délivrer bon nombre de services aux citoyens, allant de simples procédures administratives digitalisées (eGov), à la mobilité multimodale intelligente, des services de sécurité synchrones et omniscients et la gestion prédictive des territoires par exemple. Ces cas d’usages offrent aux citoyens une expérience fluide entre territoire virtuel et territoire physique ainsi qu’une « patrimonisation » de la donnée, véritable actif stratégique du territoire.

Relation de confiance et sécurisation de l’actif par les pouvoirs publics

Avec cette valeur doit venir un sens aigu de la responsabilité et de l’éthique, à l’image des préconisations de l’Union Européenne, en gérant cet actif de manière transparente, traçable et auditable. Cela doit permettre l’établissement d’un nouveau contrat social et moral entre le décideur public et son citoyen, garantissant l’harmonie au sein des acteurs du Data Trust Territorial.

D’autre part, l’élargissement des usages numériques amène une recrudescence de la menace cyber. Les pouvoirs publics jouent un rôle central dans la sensibilisation sur l’hygiène numérique, la définition de principes communs publics/privés pour sécuriser nos infrastructures critiques et la gestion de crise cyber. Mais cela doit aller encore plus loin avec des forces des cybersécurités dotées de moyens conséquents face à la menace que l’on sait croissante.

Ethique et cybersécurité doivent permettre d’asseoir une confiance durable entre les parties prenantes du Data Trust Territorial.

Le « Data Trust Territorial », un investissement d’avenir

Alors que nos politiques s’interrogent sur les modalités de la relance économique, pourquoi ne pas aller vers de grands plans keynésiens pour construire les « Data Trust Territoriaux »? N’oublions pas que pour que ce trust puisse voir le jour, la connectivité est essentielle. Investir dans les Data Trust Territoriaux serait donc aussi un moyen de favoriser l’inclusion digitale à l’heure ou près de 46% de la population mondiale n’est pas connectée à internet, que ce soit à cause d’un territoire peu connecté, d’un illectronisme ou bien d’une difficulté à s’offrir ordinateur, smartphone ou tablette par manque de moyens.

Nous devons créer les routes et autoroutes de la donnée, qui permettront la réconciliation de l’espace physique, rural ou urbain, avec l’espace virtuel.

Des acteurs publics comme la Banque des Territoires ont anticipé ces enjeux, bien avant la situation actuelle. Ils ont mis en place des modèles d’investissement innovants, des approches en écosystème, permettant aux territoires de toutes tailles de pouvoir se positionner sur cette dynamique pour créer de nouveaux modèles opérationnels autour de communs nouvellement constitués.

Faire émerger ce nouveau modèle opérationnel pour les territoires

Nous verrons donc de plus en plus de « Data Trust Territoriaux », opérant à différentes échelles : internationale, nationale, régionale, départementale, etc… créant ces communs qui transforment le modèle opérationnel des territoires, ou du moins accélèrent une transformation déjà latente. Ces modèles vont amener plus de souplesse et d’agilité dans la capacité des services publics à délivrer de la valeur, tout en replaçant les citoyens au cœur du processus de transformation par des nouvelles formes de démocraties consultatives et participatives. Réaligner le politique et le citoyen, en dehors des périodes électorales, permettra aussi d’éviter des écueils, des loupés sur les attentes des projets de territoires intelligents, à l’image du projet QuaySide de Toronto, récemment avorté, qui divisait l’opinion public.

De nos jours, nous voyons déjà de belles réussites. Le Health Data Hub français, un exemple de Data Trust Territorial a su, juste après la promulgation de l’arrêté du 21 avril 2020, collecter les données de santé aux côtés de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie. Cela a permis de faciliter l’accès aux données pour lutter contre la propagation de l’épidémie mais aussi pour la recherche d’un traitement efficace. « On Dijon », le centre de commandement intelligent de la ville de Dijon qui a facilité la coordination des différents services publics d’urgence, autrefois organisés en silo avec un niveau de coordination moindre. Et n’oublions pas la « Digital Nation » par excellence, l’Estonie, qui représente un des premiers Data Trust National ayant déjà transformé son modèle opérationnel à l’échelle. Elle n’a pas eu à souffrir d’un passage au digital puisqu’elle avait déjà réalisé sa transition avec une infrastructure numérique d’état transverse et à grande échelle, le X-Road, mettant à disposition des citoyens l’intégralité des services publics en ligne, en dehors du mariage !

Vertueux, ce modèle doit nous permettre de créer les fondations de territoires plus intelligents, plus résilients, plus durables et plus localisés, où la technologie ne restera qu’un moyen de créer du lien pour plus de cohésion. Loin d’être un repli sur son propre territoire, cette vision permettra d’éviter la création de colosses aux pieds d’argiles et d’aller vers des Etats, des unions d’Etats, constitués de territoires soudés et collaboratifs, prêts à relever les challenges de demain.