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Impact de la transition éco-numérique sur la mobilité en Europe

Guillaume Cordonnier & Fares Goucha
16 septembre 2024

Si la voiture individuelle reste incontournable notamment dans les zones rurales, de nouveaux modes de transport compatibles avec la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre remettent aujourd’hui en cause son hégémonie. Pour encourager le report modal dans tous les territoires où cela est possible, le secteur des mobilités doit offrir une alternative pragmatique et attrayante, avec le soutien du numérique et de l’intelligence artificielle générative. Un chantier résolument européen, qui associe partenaires publics et privés.

La route est droite mais la pente est forte pour la décarbonation des transports, qui représentent près du quart des émissions totales de gaz à effet de serre de l’Union européenne. Pour tenir les engagements de l’accord de Paris, le secteur doit en effet réduire de 90 % ses émissions d’ici à 2050, par rapport aux niveaux de 1990. Des mesures phares ont déjà été prises, notamment par la Commission européenne, avec la fin de la vente des véhicules thermiques neufs prévue en 2035. Mais ce levier ne sera pas suffisant, à considérer que la durée de vie moyenne d’un véhicule est de 12 ans.

Le transfert modal est tout simplement devenu incontournable. Mais comment rendre attractives les alternatives à l’« auto-solo » ? Il est essentiel de se placer du point de vue des passagers en leur proposant une offre riche, au moment où ils en ont le plus besoin. Ce vaste chantier passe par un meilleur usage de la donnée, indispensable pour acquérir une vision claire des flux réels de passagers, afin d’optimiser leurs horaires, d’identifier leurs lieux d’embarquement et de débarquement et d’améliorer globalement la planification des itinéraires. En somme, il s’agit de leur assurer la meilleure expérience possible pour faire triompher le report modal.

Processus d’achat : numériser pour simplifier

Pour convaincre les Français de remplacer leur voiture individuelle par une combinaison appropriée de solutions de transports publics et privés, il est indispensable de repenser le parcours passager. La mobilité en tant que service (MaaS) doit s’attacher à faciliter la planification du voyage, la réservation et l’utilisation du billet. La billetterie de nouvelle génération doit simplifier les déplacements multimodaux : voitures, transports en commun, vélos… complémentaires en fonction des besoins de chacun, de ses usages et des territoires.

La numérisation des transports représente ainsi un tournant stratégique majeur. Elle seule est en mesure de rendre la mobilité durable plus attrayante pour les passagers, permettant le développement de nouvelles offres, comme la mise en place du pass rail par la SNCF à l’été 2024, pour favoriser l’usage des transports en commun sans grever le pouvoir d’achat. Des initiatives ont déjà été lancées en Suisse et en Autriche. D’autres sont actuellement testées en Allemagne et en Espagne.

Cette transformation numérique a aussi le pouvoir de donner aux entreprises les moyens dont elles ont besoin pour encourager le report modal. La grande majorité (jusqu’à 98 %) des émissions liées au travail d’un employé est en effet due aux déplacements domicile-travail. L’introduction de solutions numériques appropriées (par exemple, le budget mobilité) peut aider les collaborateurs à privilégier les solutions plus écologiques (transports publics, autopartage, covoiturage), tout comme la mise en place de plateformes numériques destinées à faciliter l’accès des employés aux aides à la mobilité.

Faire le choix de la GenAI

Au service de cette transformation, la GenAI change aujourd’hui la donne, accélérant la création de nouveaux services tout en améliorant leurs efficacités. Côté passagers, elle est en mesure d’offrir une expérience personnalisée, contextualisée et optimisée susceptible de convaincre le plus grand nombre d’opter pour une mobilité plus verte. Car si le transport est collectif, l’expérience reste individuelle. Grâce à ses capacités de traduction, l’IA générative lève ainsi les barrières de la langue qui, pour les touristes étrangers, est souvent le principal obstacle à une expérience positive dans les transports.

Côté acteurs de la mobilité, l’IA générative facilite l’exploitation en permettant aux agents sur le terrain comme aux équipes au contact des clients de gagner un temps considérable et d’améliorer la précision de leurs réponses. À titre d’exemple, des assistants de recherche documentaire assurent l’accès à l’information réglementaire, commerciale et technique.

Passage à l’échelle : privilégier une approche européenne

Cette transformation numérique nécessite une stratégie claire de la part de l’Europe. À cette fin, la Commission européenne a d’ailleurs publié dès 2020 sa stratégie pour une mobilité durable et intelligente(SSMS) avec un chapitre spécifique sur la mobilité intelligente. Si son déploiement a été ajourné sur le terrain, il n’en reste pas moins essentiel d’aller plus loin dans la transition « éco-numérique » et ce, en agissant sur trois leviers :

  • Encourager les partenariats publics-privés

La mission des acteurs publics est de développer des services adéquats pour les citoyens et d’organiser la mobilité dans les territoires. De son côté, le secteur privé développe des solutions innovantes au service d’une mobilité durable. Il faut multiplier les projets innovants pour contribuer à une mobilité attractive, performante, au service des voyageurs et de l’environnement. Cela passe nécessairement par l’établissement de partenariats public-privé forts, dans lesquels chacun apporte ses connaissances et ses compétences.

L’Europe doit jouer un rôle moteur dans cette transition en investissant massivement dans le numérique au bénéfice des opérateurs et des voyageurs mais aussi en assurant un cadre de confiance, l’utilisation du cloud étant centrale dans le succès de cette transition éco-numérique.

  • Faire émerger les champions européens du numérique

L’Europe a la chance de compter des champions dans les transports (SNCF, DB, Transdev, Trenitalia, Alstom, Siemens…), mais la révolution numérique a rendu incontournables des leaders numériques venant des États-Unis et de la Chine. Les États-membres doivent encourager l’émergence de champions technologiques européens pour éviter un scénario où la création valeur, notamment les services, serait captée par des acteurs étrangers.

  • Cybersécurité : anticiper les questions géopolitiques

Avec la guerre aux portes de l’Europe, les acteurs du secteur (fabricants, opérateurs, utilisateurs, etc.) doivent faire preuve de pragmatisme. Les innovations technologiques et numériques peuvent également être utilisées pour renforcer notre souveraineté et relever les défis militaires, en se préparant à des attaques contre leurs installations de transport pour maîtriser ce type de crise.

L’Union européenne a un rôle clé à jouer dans le renforcement de la coopération entre les acteurs du transport public au service du partage d’information et de la protection des infrastructures contre le risque cyber notamment. Il est primordial d’harmoniser le cadre réglementaire (EU Resilience Act, Cyber regulations, IA Act…) tout en renforçant le dialogue avec le secteur de la mobilité. La confiance numérique et l’adoption généralisée des transports publics reposent sur l’intégration de ces normes de sécurité. Ce dernier point est l’un des aspects clés du succès de la transition éco-numérique des transports.

Auteurs

Guillaume Cordonnier

Expert en Customer Experience, Smart Mobility

Fares Goucha

Director Rail Industry, Capgemini Invent