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Durabilité : le nouveau paradigme de l’industrie automobile

Emmanuelle Bischoffe-Cluzel, David Pitoiset, Thomas Ruaudel et Louis Auclair
1 octobre 2024

Sous la pression croissante des exigences environnementales et réglementaires, l’industrie automobile est en pleine mutation. Décarbonation des processus, nouveaux modèles économiques, économie circulaire : le secteur doit repenser ses pratiques, ses produits, ses services, pour contribuer au développement de la mobilité durable. Ces nombreux défis exigent une prise de conscience rapide et le déploiement d’actions concrètes.

Face à des réglementations strictes de décarbonation, les constructeurs automobiles réorientent leurs investissements, influençant le marché et les attentes des consommateurs. Si l’électrification est incontournable, décarboniser le secteur exige une transformation totale de la chaîne de valeur. En amont, les TIER 2 & 3 réduisent les émissions liées à l’extraction des terres rares et optimisent le transport des matières premières. L’éco-conception et, en aval, le recyclage sont privilégiés. L’amélioration des processus et l’intégration de technologies basées sur les données deviennent des leviers essentiels de cette transformation stratégique.

Une législation qui rythme l’électrification du parc

Pour décarboner l’industrie automobile, la réglementation CAFE (Corporate Average Fuel Economy) prévoit en 2025 un nouveau recul du seuil des émissions de CO₂ acceptées pour un véhicule neuf vendu (de 95 g/km à 81 g/km, avec l’objectif d’atteindre 50 g/km d’ici à 2030), et le package « Fit for 55 » du Conseil de l’Union européenne ajoute à cette cible l’interdiction des moteurs thermiques dès 2035. Autre innovation clé, le règlement européen sur les batteries (COM/2020/798) instaure un cadre réglementaire strict avec la mise en place dès 2027 du Passeport Batterie, un dispositif numérique qui impose aux acteurs industriels de fournir une carte d’identité détaillant le cycle de vie (fabrication, assemblage, procédés chimiques utilisés, etc.) de chaque batterie mise sur le marché. En renforçant la traçabilité de la chaîne de valeur, cette initiative constitue la pierre angulaire du suivi de la décarbonation des véhicules électriques et hybrides.  Ces contraintes significatives bouleversent les stratégies de développement des acteurs de l’industrie automobile.  

Pour se conformer aux exigences réglementaires croissantes, les constructeurs automobiles se tournent vers des véhicules de nouvelle génération. Si les voitures électriques et hybrides, ainsi que les moteurs à haute performance énergétique, sont en première ligne de cette stratégie, de nombreux acteurs tels que Volvo, Toyota ou Renault challenge la solution du « tout électrique » au profit d’une hybridation renforcée de leurs gammes. En effet, l’électrification seule ne garantit pas une mobilité plus durable si la production et la gestion des batteries demeurent à forte empreinte environnementale. Cela souligne la nécessité d’une approche holistique intégrant des technologies diversifiées et une optimisation de l’ensemble de la chaîne de valeur.

Repenser la chaîne de valeur des batteries

De l’importation des matières premières au transport des produits finis, c’est donc l’ensemble de la chaîne de valeur qui doit être repensée sous l’angle de la décarbonation. Avec un enjeu majeur lié aux batteries, dont la production représente plus du tiers de l’empreinte carbone d’un véhicule électrique. La solution passe par le recyclage, qui permet une réduction de l’ordre de 70 % des émissions de CO2 générées lors de la fabrication, notamment via la réutilisation de matières premières (lithium, cobalt, nickel…). Celle-ci atténue également le risque de pollution des sols et des eaux. En outre, la possible utilisation des batteries au lithium-ion et nickel-métalhydrure comme pièces automobiles ou comme unités de stockage d’énergie favorise le développement du remanufacturing.

La dynamique de la filière recyclage est encore renforcée par le décret relatif à la gestion des véhicules hors d’usage[1], qui étend la responsabilité des constructeurs automobiles, par la Directive sur les véhicules hors d’usage[2] qui instaure un arsenal réglementaire couvrant l’ensemble du cycle de vie. Les investissements dédiés au recyclage des batteries ne sont donc plus une option, comme l’attestent de nombreux partenariats récemment noués (Volvo x CATL, Volkswagen x Ecobat…).

Parallèlement, les technologies de production des batteries évoluent à grands pas, à l’instar des cathodes en nickel-manganèse-cobalt, nickel-cobalt-aluminium et lithium-fer-phosphate, qui ont aujourd’hui les faveurs de l’industrie. D’autres initiatives prometteuses, comme les batteries au sodium-ion et les batteries à état solide, devraient également rebattre les cartes du marché. Outre l’amélioration de l’efficacité énergétique, ces technologies contribuent à réduire la dépendance à des ressources critiques dont l’approvisionnement peut s’avérer complexe[3].

Toutefois, la relative dépendance du Vieux Continent aux importations de terres rares d’Asie affecte la chaîne d’approvisionnement des constructeurs européens, dont la précarité est renforcée par les tensions géopolitiques à l’œuvre. Une réflexion stratégique globale s’impose pour favoriser la diversification des sources d’approvisionnement et renforcer la résilience de la filière. Parmi les principales options envisagées, la relocalisation ou la régionalisation de certaines activités occupent le devant de la scène.

Vers de nouveaux modèles économiques

L’évolution des technologies de motorisation progresse de pair avec celle des services de mobilité attendus par les consommateurs, entraînant une montée en gamme généralisée chez tous les constructeurs. Cette dynamique, combinée à l’augmentation du coût global des véhicules et à la volonté des conducteurs de modifier leurs habitudes de consommation, transforme le paradigme des modèles économiques des marques. En témoignent la généralisation progressive du Vehicle-as-a-Service (VaaS) ou encore la mise à disposition de services additionnels dans le véhicule. Ces modèles économiques disruptifs ne se concentrent plus seulement sur l’acquisition, mais sur le coût total de possession (TCO) et le coût total d’utilisation (TCU) du véhicule.

Autant de changements qui imposent une profonde refonte du secteur automobile. Pour les OEM, l’électrification des voitures thermiques par l’intégration d’un moteur électrique et d’une batterie (rétrofit) devient une priorité industrielle, car cette pratique permet de préserver la valeur résiduelle des véhicules tout en favorisant un cycle vertueux des matériaux.

Le déploiement à grande échelle de ces modèles économiques nécessite une transformation des processus industriels, incluant l’intégration de mises à niveau technologiques et une personnalisation continue des véhicules pour assurer leur attractivité sur le long terme. Des évolutions incontournables pour que l’industrie automobile puisse répondre aux enjeux économiques et aux nouvelles attentes des consommateurs en matière de mobilité.


[1] Décret n° 2022-1495 du 24 novembre 2022 relatif à la gestion des véhicules hors d’usage et à la responsabilité élargie des producteurs de voitures particulières, de camionnettes, de véhicules à moteur à deux ou trois roues et quadricycles à moteur.

[2] End-of-life vehicles Regulation adoptee par l’Union européenne.

[3] À titre d’exemple, la Chine contrôle presque 80 % des métaux critiques comme le cobalt, le lithium et le graphite.

Auteurs

Emmanuelle Bischoffe-Cluzel

VP | Sustainability Lead, Global Automotive Industry, Capgemini
Emmanuelle a plus de 28 ans d’expérience dans l’industrie automobile. Elle a occupé divers rôles en ingénierie de fabrication, supply chain, achats, finance, et développement commercial. Inventrice, elle détient 4 brevets améliorant l’assemblage de moteurs à combustion interne et l’utilisation de composants en aluminium. Diplômée de l’ENSMA de Poitiers et de la RWTH d’Aix-la-Chapelle, elle a rejoint Capgemini en 2023, portée par sa passion pour l’innovation, l’automobile, et les enjeux environnementaux.

David Pitoiset

Senior Director | Automotive & Captive Finance Leader – Capgemini Invent
Avec plus de 20 ans d’expérience dans le secteur automobile, David est un « car enthusiast » qui allie sa passion à son expertise professionnelle. Spécialisé dans les réseaux de distribution et le financement automobile, il a rejoint Capgemini Invent France en 2019 pour apporter son savoir-faire aux constructeurs et équipementiers. Son rôle consiste à les aider à intégrer les nouvelles technologies pour améliorer leurs processus et préparer l’avenir de la mobilité. Grâce à son expertise sectorielle, David aide nos clients à relever les défis de l’innovation et de la digitalisation.

Thomas Ruaudel

Vice president | Sustainable Futures, Capgemini Invent
Thomas accompagne depuis 25 ans ses clients du secteur privé dans leurs stratégies de développement durable. Depuis 5 ans il se consacre à la décarbonation d’acteurs de l’aéronautique et de l’automobile. Il développe des stratégies de gestion des portefeuilles de produits à la fois résilients aux regards des risques de transition et à impact positif. Il porte les solutions Future-Proof Product dans l’équipe Sustainable Futures de Capgemini Invent.

Louis Auclair

Senior Consultant | Stratégie et Transformation des Parcours Client, Capgemini Invent
Avec plus de 3 ans d’expérience dans le secteur automobile, Louis est passionné par cette industrie aux enjeux géopolitiques et de durabilité cruciaux. Spécialisé dans l’optimisation des parcours clients et l’intégration de nouvelles technologies, il combine sa passion pour l’automobile et ses compétences en conseil stratégique pour piloter des projets innovants chez Capgemini Invent dans le domaine de la mobilité.

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