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Défense : Le challenge de la connectivité pour soutenir la logistique opérationnelle

Marie-Noëlle Quiot & Cédric Bourrely
8 juillet 2024
capgemini-invent

Une transformation majeure sous la pression des technologies et des conflits de haute intensité

La logistique opérationnelle est l’un des enjeux majeurs de supériorité sur le champ de bataille car elle englobe tout ce qui va permettre de conduire la manœuvre militaire d’un point de vue logistique. Son intérêt est stratégique, notamment dans un contexte de retour de la menace de conflits de haute intensité.

  • Si elle diffère de la Supply chain du secteur privé par son périmètre et sa profondeur d’action, la logistique opérationnelle est tout aussi impactée par des bouleversements technologiques rapides, sources d’usages nouveaux mais aussi de défis importants. Au cœur de ces évolutions : la connectivité, de la transmission des données captées sur le terrain à leur usage par le commandement. C’est ce sujet que nous avons choisi de développer le 19 juin dernier à travers une conférence pendant Eurosatory, le salon mondial de la Défense et de la Sécurité, avec la participation du Général Thierry Poulette, Commandant du centre de soutien des opérations et acheminements au Ministère français des Armées. Morceaux choisis.

Les défis spécifiques de la logistique opérationnelle

Le retour des conflits de haute intensité en Europe renforce encore l’importance de la connectivité et lui affilie de nouveaux besoins et contraintes parmi lesquels :

  • garantir la projection dans la durée et avec elle, l’intégrité de la chaîne de connectivité,
  • permettre une distribution logistique décentralisée, plus éclatée, multipoints, pour garantir la sécurité d’approvisionnement,
  • disposer des possibilités offertes par les nouvelles technologies de communication comme la 5G (débit, sécurisation, intégration IoT, etc.), aussi bien sur les bases arrières que sur les lignes de front,
  • mettre à jour des technologies en voie d’obsolescence (par exemple, connectivité tetra remplacée en sécurité intérieure, avec l’ajout de nouvelles capacités au-delà de la voix),
  • intégrer des capacités de traitement plus performantes pour faire face aux masses exponentielles de données collectées,
  • profiter des opportunités créées par les programmes spatiaux (satellites en orbites basses par exemple).

Ce nouveau paradigme doit évidemment répondre à des impératifs spécifiques liés aux usages des technologies pour la Défense :

  • sécurisation / cybersécurité des systèmes déployés ainsi que des communications (notamment pour des contraintes de réduction de visibilité sur le spectre électromagnétique),
  • interopérabilité des données avec les alliés, notamment au sein de l’OTAN via des passerelles sécurisées,
  • souveraineté de bout en bout dans le cas de technologies civiles embarquées (clouds souverains, contrôle des algorithmes).

L’enjeu de la data et de l’IA

La donnée est ainsi au cœur des enjeux de connectivité pour demain. En effet, elle doit pouvoir être transmise de manière sécurisée, exploitée de manière différenciée grâce à de nouveaux moyens (architecture distribuée, edge computing, etc.) et visualisée pour la rendre réellement utile. De nombreux cas d’usage autour de l’intégration de l’IA ont d’ores et déjà été identifiés pour appuyer la planification logistique, mais aussi pour gagner en efficacité avec des passations de commandes automatisées de pièces détachées en fonction du niveau d’usure des matériels, ou avec des simulations d’usage des munitions au front.

Sur théâtre d’opérations, le sujet des bulles de connectivité tactiques est actuellement en plein essor, afin notamment de permettre à la fois d’extraire les données des différents équipements (drones, chars, camions, etc.) à des fins de maintenance prédictive, mais également garantir la connexion entre le terrain et des experts en maintenance, déportés hors du théâtre d’opération dans des centres d’excellence. Ces bulles permettent également de disposer sur le terrain de systèmes de traitement complexes potentiellement déconnectés, voire d’IA locales, pour extraire les données des systèmes et les exploiter sur place avec des techniciens « augmentés ».

L’utilisation de l’IA ne se limite pas au traitement de données techniques de maintenance. Pour l’Armée de l’Air, l’intelligence artificielle peut par exemple permettre d’identifier plus rapidement le moyen d’acheminer une pièce d’avion sur le terrain ou d’améliorer l’efficacité des missions.

« L’IA a été utilisée dans le passé pour planifier les mouvements des avions ravitailleurs de l’OTAN avec une amélioration de 30% de l’efficacité du ravitaillement ».

Général Thierry Poulette, Ministère des Armées

Pour la Marine, le sujet de la connectivité est un enjeu d’autant plus important que les bâtiments de la Marine nationale conduisent leurs actions sur et sous toutes les mers du globe ce qui induit des capacités de connexion non linéaires.

Ces possibilités nouvelles, rendues possibles par des chaînes de connectivité plus étendues, complexes et puissantes, présentent cependant plusieurs risques et limites pour l’efficacité des armées. Le premier d’entre eux est celui de l’obésité numérique si un volume trop important de données non agrégées est rendu disponible à tous les échelons.

« Le cas d’usage pour nous est de disposer d’une capacité d’analyse intelligente de l’information pour pouvoir donner la photographie complète d’une situation. »

Général Thierry Poulette, Ministère des Armées

Autre risque identifié par le Général, « si les chefs savent tout, les subordonnés ont peur d’agir. Le principe de subsidiarité doit être préservé. Pour cela, même si l’information brute atteint le haut de la chaîne de commandement, chaque échelon doit être en capacité de l’analyser à son niveau pour identifier des fenêtres d’opportunités et transmettre une information traitée. »

Enfin, la Défense oppose une limite par définition à une exploitation accrue des possibilités de la connectivité. En effet, entraîner des IA est plus difficile dans un cadre militaire car le volume de données disponibles est plus réduit que dans le monde civil, notamment parce que beaucoup d’entre elles sont inaccessibles du fait de leur confidentialité.

Une accélération technologique à anticiper

Ces tendances évoquées devraient se poursuivre dans le futur avec l’apparition de l’Internet of Battlefield Things ou IoBT, ce qui conduit à l’hyperconnectivité du champ de bataille. Celle-ci va pouvoir agréger encore plus de données provenant de capteurs autonomes, d’engins militaires, des militaires engagés, des moyens satellitaires mais aussi des plateformes civiles telles que les réseaux sociaux.

Cette hyperconnectivité apportera davantage de précision et de richesse avec une contrainte d’équilibre à définir entre transparence, massification et sécurisation du champ de bataille :

  • connectivité vs furtivité, soit la connectivité au bon moment pour maximiser l’efficacité sans pénaliser les opérations en minimisant les traces numériques ;
  • connectivité et interopérabilité vs sécurisation et confidentialité (Digital Trust) de bout en bout, rendues plus complexes par la multiplication des acteurs, notamment avec la présence d’acteurs civils sur des terrains militaires.

La prochaine révolution de la connectivité est déjà à nos portes. D’ici 5 à 10 ans, l’informatique quantique pourrait rebattre fortement certaines cartes avec :

  • la nécessité de disposer de nouveaux besoins de sécurisation via des technologies de chiffrement à l’épreuve du quantique (qui sera capable de casser de très nombreux algorithmes de cryptage en place),
  • la mise à disposition d’algorithmes au service des opérations logistiques beaucoup plus complexes, avec beaucoup plus de variables, rendus possibles par les capacités de traitement du quantique,
  • des nouveaux moyens de géolocalisation sans GPS grâce à des processeurs quantiques, permettant notamment de lutter contre le brouillage des signaux.

Historiquement cloisonnés, les mondes du Civil et de la Défense verront demain de plus en plus de passerelles se mettre en place autour de la connectivité.

L’une des clés sera notamment de trouver rapidement comment concilier des usages civils aux gains prouvés grâce à des technologies matures et déployées de manière industrielle, avec les besoins spécifiques des armées qui emportent des enjeux forts de sécurisation opérationnelle.

Pour cela, il s’agira notamment de faire monter en compétence le monde militaire afin de comprendre et maîtriser des technologies dont le rythme de maturation et de déploiement est désormais beaucoup plus rapide que par le passé, rendant les cycles d’innovation et d’obsolescence bien plus courts et enclins à rebattre les cartes de la supériorité opérationnelle.

Auteurs

Marie-Noëlle Quiot

Directrice d’engagement, responsable du COE ADMnext
Après une première partie de carrière passée au service du ministère des armées, Marie-Noëlle rejoint Capgemini en novembre 2022 en tant que directrice d’engagement (VP). Elle a rapidement transposé ses savoir-faire et a pris la responsabilité du COE ADMnext. La consolidation de l’offre est pour elle essentielle afin d’avoir un socle solide pour développer une relation de confiance, que ce soit en interne au sein des différentes entités du groupe, comme avec les clients.

Cédric Bourrely

Directeur de programme 5G Labs, Capgemini Invent
Cédric Bourrely est en charge des activités de Conseil autour des technologies Emergentes chez Capgemini Invent. Il intervient principalement sur les thématiques des apports des nouvelles technologies, notamment Connectivité (5G, IoT…),  Intelligence Artificielle et technologies décentralisées (Blockchain), dans les secteurs de l’Industrie, des Infrastructures Critiques, de la Sécurité Publique et de la Défense.
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